Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A moving perspective
9 janvier 2013

La règle du jeu

la-regle-du-jeu

François Truffaut déclarait que ce film était « le credo des cinéphiles », et pourtant il n’est pas toujours évident de regarder un film de 1939 aujourd’hui ! Mais j’ai vite révisé mon jugement lorsque j’ai été surpris par ce film qui est plus d’actualité qu’on pourrait penser… J’espère vous donner envie de le découvrir aussi !

Résumé

André Jurieux, un aviateur adulé du public, est convié chez le marquis de la Chesnaye qui organise une chasse et un dîner avec d’autres convives. Seulement on découvre que la seule raison pour laquelle Jurieux traverse l’Atlantique est qu’il veut récupérer Christine, la marquise de la Chesnaye. Aidé par son ami Octave qui l’invite dans le château de la Chesnaye afin de lui remonter le moral pour qu’il soit près d’elle, Jurieux rencontre des personnes toutes plus différentes les unes que les autres, réunies dans ce château pour un week-end qui se révèle mouvementé.

La phrase de Truffaut est étrange, parce qu’en voyant ce film, j’ai eu l’impression d’assister à une pièce de théâtre de bout en bout, aussi bien concernant les décors que les registres utilisés dans ce film.

Film ou pièce de théâtre ?

Les références au théâtre sont nombreuses dans ce film, qui semble répondre à la logique des 3 unités.  En effet, il y a deux étages où se jouent deux comédies ; au premier étage les nobles, au sous-sol les valets qui jouent leur comédie, jusqu’à ce que les deux comédies se croisent au même étage. Il y a confrontation entre les deux genres, on passe très vite du genre du vaudeville à une tragédie.

On retrouve un quiproquo, procédé récurrent du théâtre : André Jurieux est un héros qui accomplit des exploits pour une femme qui ne vient pas à son arrivée, il est tué à la fin par Schumacher qui le suspecte d’avoir une liaison avec sa femme alors  qu’il s’agit de Christine. Le film commence et finit sur un quiproquo.

La référence au théâtre est prolongée par une mise en abyme : les nobles jouent une comédie où l’on se déguise, et en réalité ils se parodient eux-mêmes en se déguisant. On est donc en présence d’une micro-société décadente qui n’a plus que le divertissement -en l’occurrence le théâtre et la chasse- pour être heureuse. Le problème étant qu’en se réfugiant derrière ces rôles (aussi bien à la chasse qu’au théâtre) les convives se réduisent à leur apparence et non à ce qu’ils sont vraiment. Le cinéma, en nous donnant un regard extérieur à cette scène, nous rappelle que tout ceci n’est qu’un divertissement, que tout ceci n’est qu’illusion. Le cinéma de Renoir est donc tout sauf une pièce de théâtre en réalité, puisqu’il ne cherche pas à plaire par l’artifice mais en montrant la réalité de façon parfois douloureuse (comme lors de l’assassinat de Jurieux, mort symbolique du héros et donc d’une société qui s’autodétruit –Schumacher tue Jurieux sur un malentendu).

 

La vision d’une société qui dépérit

Renoir nous livre donc une vision pessimiste de la société qui se ment à elle-même, se cache de la réalité : il y a une claire contradiction entre la forêt, le lieu de liberté, et la chasse qui obéit à une mécanique sociale. Les dialogues sont creux, aucune parole n’est véritable : la chasse est un rituel échangeable c’est un ballet où chaque personnage a un endroit qui lui est assigné. Les dialogues entre chasseurs sont l’objet de discussion autour d’un faisan, les deux personnages échangent des commodités : la société est comme un jeu qui obéit à des règles, et le mensonge, l’apparence sont autant de règles qui doivent être respectées.

Les personnages sont corrompus jusque dans leur intimité : les scènes d’amour laissent penser que les personnages se mentent à eux-mêmes. La notion même d’amour semble inexistante, et la société toute entière est à l’image de la machine qui fascine les convives qui représente un lupanar. La mort de Jurieux, le véritable héros qui agit par amour, par conviction, mais qui devient la proie de la règle du jeu, signe ainsi la mort de l’amour dans une société décadente.

Un dernier aspect intéressant du film est la violence qui est omniprésente, mais socialement acceptable car elle répond à des codes de la société. La scène de chasse se transforme en un massacre inouï, la chasse devient un rituel de mort. Renoir dénonce la violence d’une société en apparence polissée : la multiplication des plans intensifie le dégoût du spectateur, et cette analyse d’avant-garde sera reprise dans plusieurs films, notamment Taxi Driver où Travis Bickle devient un héros après avoir tué des maquereaux, autrement dit des personnes « socialement inacceptables », ou dans Drive plus récemment… C’est aussi ce pourquoi ce film est d’actualité : il montre la violence non pas comme un comportement déviant, mais paradoxalement comme un comportement toléré – voire encouragé- par la société ! Et c’est sans doute cette prise de conscience, que la violence est « socialement acceptable », qui conduit à une perte de repères totale : si la violence est acceptable alors aucuns des principes que met en avant la société n’ont de la valeur… Renoir ouvre donc la voie à une réflexion qui marquera le cinéma d’Hollywood des années 70 : on comprend mieux la phrase de Truffaut maintenant !

En nous montrant grâce au cinéma une société en perte de repères qui tolère la violence, ce film de Renoir agit comme un miroir qui –normalement- fait réfléchir sur la société dans laquelle nous vivons. Et je pense qu’une des forces du film, et ce pourquoi il est d’actualité, est de poser la question suivante : est-on encore en mesure de décider de la société que nous voulons, ou subissons-nous les règles du jeu qui nous échappe sans en avoir les cartes en main ?

Publicité
Publicité
Commentaires
A moving perspective
Publicité
Archives
Publicité